Ici reposait en paix la René Gillet 1903. Après avoir déblayé pas mal de ferraille, l'ami Christophe met au jour notre trésor,
 

C'était hier !
 est-ce encore possible en l' An 2000 ?


 



 
 
 
 
 
 

  Tout cela commença à cause du célèbre Rallye des Vétérans dont nous avons déjà parlé à plusieurs reprises. Christophe m'avait dit qu'il fallait absolument trouver un " vétéran " quelconque pour participer à cette manifestation intéressante et si finalement je ne pus aller moi-même à Neckarsulm, ce n'était pas la bonne volonté qui manquait.

Quelque temps après Christophe me passait un coup de fil pour m'informer de l'achat d'une quatre cylindres F.N. de 1924. Prix : 10 000 FR ! Mais à mon avis il fallait absolument trouver des bécanes plus vieilles que cela ! Une solution s'imposa et cette solution s'appelait Roger Sceaux. Il était probable que le sympathique motoriste me dénicherait quelque vieux tas de ferraille datant d'avant le déluge, Dans le magasin de la rue des Panoyaux je ne trouvais rien qui puisse convenir, mais je pris rendez-vous pour le dimanche suivant à Anet-sur-Marne où Sceaux entrepose la majeure partie de ses machines.

Roger, Sceaux nous accueillit sous la porte en s'écriant : " On a ce qu'il vous faut !" Renseignement pris, il s'agissait d'une René Gillet de 1903 et d'une Indian de 1912, deux bécanes qui faisaient admirablement notre affaire. Elles étaient cachées sous un tas de ferraille innommable et il fallait une bonne heure pour les dégager de là. Sceaux nous promit de les ramener à Paris le lendemain et dès le samedi suivant nous nous mettions au travail sur ces deux vétérans tandis que la F.N. tournait déjà... avec un bruit de batteuse, il faut bien le dire.
 
 





 














Voici le moteur du premier de nos vétérans, la quatre cylindres F.N. Notez la longueur de la pipe d'admission, au travers de laquelle passent les tiges de culbuteurs
 

Voyons en premier lieu là doyenne, c'est-à-dire la René Gillet. Des mesures exactes nous révéla que ce bicylindre en V avait une cylindrée totale de 527 cm . Ce moteur doit développer quelques 4 à 5 ch. Comme bien d'autres machines de cette époque, le moteur de notre René Gillet comportait deux soupapes automatiques commandées par la dépression engendrée par la descente des deux pistons. Les soupapes d'échappement latérales sont classiques. Mais avant d'en venir à l'allumage et au carburateur qui constituent les pièces les plus intéressantes de cette machine, signalons encore que la transmission s'effectue par une courroie plate reliant l'arbre moteur directement à la roue arrière.
 
 





 














Voici la René Gillet 1903 telle que nous l'avons déterrée. Roger Sceaux essaye de démonter le générateur d'acétylène sous l'śil intéressé de notre ami Christophe. En bout de vilebrequin on aperçoit la poulie de transmission qui reçoit la courroies plate.
 

L'allumage de notre René Gillet est assuré par une bonne vieille magnéto située sur le tube supérieur du cadre, s'encastrant ainsi dans le réservoir (voir photo). Le carter moteur porte un boîtier de distribution auquel part un arbre vertical entraînant la magnéto par l'intermédiaire de deux trains de pignons à taille hélicoïdale. Ces pignons possèdent un certain jeu longitudinal ce qui permet, à J'aide d'une tringlerie, de varier l'avance à l'allumage. C'est d'ailleurs cette opération qui règle la vitesse de la machine ce qui est impossible à obtenir avec le carburateur.
 
 





 














Sous le réservoir démonté on découvre la magnéto avec son mode d'entraînement. A l'avant les tringles de commandes de l'avance et du lève soupape. On remarquera la pipe d'admission traversée, au dessus de chaque cylindre, par une soupape automatique.
 

Celui-ci est certainement le modèle le plus rudimentaire que j'ai rencontré dans ma carrière de motocycliste. Notre photo en montre la partie amovible, c'est.-à-dire le tuyau d'arrivée d'essence, la tulipe et son siège ainsi que le titillateur. Je vais essayer d'expliquer le fonctionnement de curieux appareil le plus simplement possible : imaginez un tunnel à l'intérieur du réservoir de carburant dont une extrémité débouche à l'air libre à côté de la selle, tandis que l'autre aboutit aux pipes d'admission. Le carburateur visible sur notre photo ou plutôt sa tulipe (en laiton-léger !) débouche dans ce tunnel. Le principe des vases communicants permet au carburant d'arriver jusqu'à la tulipe, qui, soulevée par l'aspiration du piston descendant, laisse passer une certaine quantité d'essence. Je n'ai pas encore compris comment cette quantité d essence a pu être déterminée de façon précise, mais il est certain que ce système fonctionne et ce malgré la densité et le degré de raffinage très différent des carburants actuels de ceux de l'époque. Mais pour être juste, il faut avouer que le ralenti de notre René Gillet laissait non seulement à désirer mais il était plutôt inexistant.
 
 





 














Voici un gros plan intéressant : le carburateur de la René Gillet. On distingue aisément la tubulure d'arrivée de l'essence, la tulipe et le titillateur. Si ce carburateur est vraiment embryonnaires, je puis néanmoins affirmer qu'il fonctionne.
 

Quant à la partie cycle de la René Gillet je relèverai deux points, le proverbe dit qu'il n'y a rien de nouveau sous le soleil et la fourche avant de la René Gillet vient nous le prouver. En 1903 déjà on fabriquait des fourches à roue poussée ! Au catalogue de René Gillet on vantait, à l'époque, la "selle surbaissée" et notre photo en démontre la réalisation, mais je voudrais surtout attirer l'attention sur le triangle arrière du cadre qui n'est pas sans rappeler un dessin de Dubout : la poulie ne passait pas dans. le cadre. Qu'à cela ne tienne ! On coude celui-ci et le tour est joué. Je citerai pour terminer les freins de cette machine, A l'avant le frein brillait par son absence tandis qu'à l'arrière nous découvrions un frein à enroulement dont les garnitures étaient constituées par deux pièces de fer qui frottaient sur un tambour en bronze.
 
 





 














Le vétéran de la guerre de 1914 tel que nous l'avons découvert. Le phare fonctionnant à l'huile est signé Blériot ! Sous le guidon on aperçoit les tringleries de commande des carburateurs et de l'avance à l'allumage dont il est question dans notre article.
 

Ce vétéran fut donc entièrement démonté, refait, ré émaillé et le réservoir nickelé ce qui lui conférait un petit air de fête. Roger Sceaux n'a jamais voulu croire qu'il s'agissait là de " sa " René Gillet!
 
 





 














Le démontage commence ! Un conseil aux amateurs de "Vétérans" . au fur et à mesure du démontage n'hésitez pas , notez, prenez des croquis, car sans cette précaution on perd du temps précieux au remontage.
 
 



On rôde les soupapes…


 
















Le dimanche suivant Christophe et moi commencions par démonter le vétéran,. de la guerre de 1914. Eh bien ! croyez-moi, une Indian modèle 1912  c'est bâti comme une moissonneuse-batteuse ! Un moteur comme celui-là ne risque rien jusqu'à la fin des jours. En examinant soigneusement les différentes photos on s'apercevra que notre moteur ne diffère pratiquement pas des derniers modèles commercialisés par la marque américaine. Notons Cependant les culasses non détachables, l'allumage par magnéto (la nôtre n'était d'ailleurs plus d'époque) ainsi que le carburateur qui reste jusque aujourd'hui un mystère pour moi. Je dirai aussi que les bougies équipant ce moteur sont pratiquement introuvables (22 mm) et qu'un des pistons en acier pèse la bagatelle de 650 g ! La distribution, visible sur une des photos, est extrêmement robuste et la longueur des bielles vous fait courir un frisson dans le dos : heureusement que ces moteurs ne tournent pas vite. Je ne pense d'ailleurs pas que le nôtre dépassât les 2 000 tr/mn. Compte tenu de la partie cycle de cette Indian, la vitesse conférée par son moteur est amplement suffisante. Ma cuisse gauche porte d'ailleurs la marque indélébile du tempérament de ce fougueux coursier !
 
 




Vérification de la distribution et du graissage. Exception faite d'un segment, tout était en état acceptable.


 
















J'ai photographié le cadre tout nu après avoir démonté le moteur. Le poids de ce tas de ferraille est incroyable. Je n'ai plus le chiffre en mémoire, mais il était respectable. Notez aussi que notre Indian est équipée d'une des premières suspensions arrière oscillantes au monde. La suspension avant à roue tirée n'est pas sans rappeler celle des premières B . M . W. telle la R 5 par exemple. Le moins que je puisse dire c'est que cet ensemble manque quelque peu de rigidité et qu'en roulant on a très nettement l'impression de faire du slalom.
 
 





 














Voici la cadre de notre Indian. Le poids de ce tas de ferraille est incroyable! Notez que ceci et probablement une des premières suspensions  arrière oscillantes. Dans notre article nous avons parlé de la rigidité de cet ensemble qui est plutôt aléatoire.
 

La place me manque pour parler de toutes les surprises que nous avons rencontrées en démontant et en remontant cette vieille bécane. Cependant je voudrais citer encore deux détails. D'une part, il est intéressant de savoir que cette machine ne comporte aucun câble. La commande des deux freins arrières (sic) s'effectue par tringles de même que la commande du carburateur et de l'avance à l'allumage. Etant donné que ces deux dernières commandes partent de poignées tournantes (à l'envers d'ailleurs), il a fallu monter toutes les tringles de commande sur petits cardans et prévoir des tubes télescopiques pour permettre le braquage. J'aurais aimé connaître le prix de revient de cette machine...
 
 




Le Pneu avant, garanti d'époque était durci à tel point qu'il fallût le découper à la scie.


 
















D'autre part j'ai trouvé sur cette Indian des pneus dont je reproduis le dessin (il se passe de commentaires) et des chambres à air d'un modèle particulier. Comme le montre la photo il s'agit d'un boudin vulcanisé et renforcé aux deux extrémités. L'une porte la valve du type vélo et l'autre est pourvue d'un trou dans lequel on enfile la dite valve pour fermer le cercle. Et ça marche !

L'Indian fut ré émaillée jaune et filets rouges comme à l'origine et j'ai même trouvé une décalcomanie d'origine. Et un certain samedi matin, dans un coin bien désertique, j'ai essayé de mettre en route le monstre. Après de vains efforts sur le kick starter je me décidai à pousser, ce qui n'est pas facile avec un pareil dirigeoire ! Mais ma peine fut récompensée car après une dizaine de mètres mon moteur partait. Bien sûr, ces 1 000 cm3  ne développent que très peu de chevaux mais ils sont là tout de suite ! Et si, par surcroît, le carburateur usine à gaz se bloque et que l'on ne puisse atteindre à temps le débrayage au pied cela se transforme en catastrophe En un mot, je me suis écroulé avec la machine plus vite que je ne le saurais dire, déchirant par la même occasion mes vêtements et m'entaillant sérieusement la cuisse. Pendant ce temps-là, le moteur tournait gaillardement et il a fallu boucher le carburateur pour le décider à l'arrêt.
 
 





 














Voici la chambre à air dont il est question dans notre article. La valve passe à travers un trou ménagé dans l'autre extrémité de la chambre; Cela permet le démontage du pneu arrière en cas de crevaison sans démonter la roue.
 

Encore plein de sang, j'ai procédé à des petits réglages effectués au " pifomètre ", et ensuite j'ai quand même fait mon petit tour d'honneur. Bien sagement, il est vrai. Des circonstances indépendantes de ma volonté m'ont ensuite empêché de me rendre à Neckarsulm avec mon vétéran, mais l'ami Christophe a effectué le pèlerinage avec la René Gillet. Avec toute la piété convenante, les organisateurs lui ont d'ailleurs décerné le premier prix de sa catégorie.
 
 




Le sergent mécanicien d'escadrille Max Enders, notre directeur, sur sa machine personnelle en 1915. Il s'agit d'une Indian de 1200 cm3.


 
















Il est bien dommage qu'en dehors de Robert Sexé il ne s'est pas trouvé de motards français pour participer à cette intéressante épreuve, dont nous avons déjà parlé dans Motocycles. Je suis sûr qu'il existe en France des centaines de vielles motos en train de pourrir mais que l'on pourrait " retaper " à peu de frais. Je suis d'ailleurs certain que Roger Sceaux possède des pièces pour un nombre formidable de vieilles machines. Si d'autre part, certains de nos lecteurs possèdent des vétérans dont ils voudraient se défaire, je leur demanderais de le signaler . Et qui sait, peut être qu'à la Pentecôte on verra une délégation Française au Rallye des Vétérans....

Paul NIEDERMAN